Des mensonges nécessaires de Diane Chamberlain

Des mensonges nécessaires fait partie de ces livres dont on ne ressort pas indemne ...

Ce roman féminin (attention ce n'est pas du tout de la romance) est porté par deux voix : celle d'Ivy, une adolescente pauvre de 15 ans, vivant et travaillant dans une plantation de tabac en Caroline du Nord, dans les années 60. L'autre voix est celle de Jane, à pleine plus âgée (elle a 22 ans), fraîchement mariée à un pédiatre et entamant une carrière d'assistante sociale.

Ivy est donc une adolescente pauvre, vivant avec sa grand-mère, sa grande sœur et William, son neveu de 2 ans, dans un quasi taudis. Les femmes Hart travaillent pour les Gardiner, propriétaires de la la plantation de tabac. Comme de nombreuses familles travaillant ici, elles sont suivies par l'aide sociale de l'État, plus précisément par Charlotte Werkman. Charlotte va être le mentor de Jane durant quelque temps, c'est elle qui va la guider dans ses premiers pas de ce métier que Jane n'imaginait pas si difficile. La réalité et la crudité avec laquelle la vie quotidienne des Hart est dépeinte, que ce soit à travers le POV de Jane ou celui d'Ivy est saisissant.

Le décalage entre le monde des Hart (promiscuité, misère sociale et intellectuelle ...) et celui de Jane et sa maison des beaux quartiers (avec toutes les commodités, notamment l'eau courante et les toilettes) est frappant, à tel point qu'au début, je me suis demandée si on était bien au 20 ème siècle ...
Le décalage est aussi apporté par la différence de ton. Celui d'Ivy est assez fruste, grossier, un langage familier et cru, bien éloigné du langage "normal" de Jane.

Jane est une jeune femme idéaliste et ce qu'elle va découvrir lorsqu'on lui demandera de gérer le "dossier" Hart va dépasser son entendement (et le mien aussi, soyons francs !). Cette femme va s'attacher à ces familles dont elle a la charge (notamment les Hart et les Jordan, on n'en saura pas plus sur ses autres dossiers), au plus grand mécontentement de son mari (à qui j'aurais bien voulu flanquer une bonne paire de gifles).

Outre le tableau de deux femmes et la peinture d'une certaine classe sociale des années 60 (on passera pour une fois à côté de la ségrégation, tout juste esquissée ici), Diane Chamberlain lève le voile sur un sujet encore tabou aujourd'hui : la politique d'eugénisme. En quoi cela consiste t-il ? La "régulation" des naissances qui passait par une politique de stérilisation plus ou moins forcée d'une certaine frange de la population. Un QI trop bas, des problèmes d'épilepsie, une ribambelle d'enfants déjà aux crochets de l’État ...

C'est un livre coup de poing, un livre choc que nous avons là. Impossible de rester indifférente devant la vie des Hart, de ne pas se sentir, comme Jane, animée d'une envie de se battre, de s'ériger contre cet effrayant système dans lequel les travailleurs sociaux sont tout-puissants et où, sous couvert du mensonge, s'arrogent le droit de décider de la vie de ceux qu'ils sont supposés aider (on peut discuter tant qu'on veut de la contraception et de la régulation des naissances, ou même du placement des enfants pour les faire grandir dans un milieu moins "dangereux" pour eux  :  mais de là à stériliser des personnes sans leur consentement sous prétexte qu'elles sont trop "bêtes" ou épileptiques, il y a un gouffre, allégrement franchi à cette époque-là.).

Un livre éprouvant donc, qui m'aura mis les larmes aux yeux, notamment sur la fin ; de beaux portraits humains, avec des personnages authentiques, imparfaits, réels ; un livre, enfin, porté par une belle plume, très travaillée. Diane Chamberlain est une auteur que j'avais découvert chez Mosaïc déjà, c'est une femme sur laquelle il faut compter, une plume qui ne laisse pas indifférente.

♥ ♥ ♥ ♥/5